Reportage au cœur du Foyer de vie La Passerelle : « Ils vivent ici, c’est leur maison »

Immersion au sein du Foyer de Vie « La passerelle », établissement médico-social de l’Institut Camille Miret, situé à proximité du centre du village de Leyme. Une trentaine de résidents entre 18 et 74 ans, atteints de légère déficience mentale, de trisomie, ou de léger handicap physique vivent au foyer à l’année.

La journée commence à peine, mais le foyer de vie « La Passerelle » fourmille déjà. Les résidents de l’unité d’accompagnement de l’Institut Camille Miret (ICM) se préparent aux activités quotidiennes. « Natalie, notre championne de judo, » nous présente Stéphanie Perrinet, la directrice du foyer, qui gère aussi les résidences d’Accueil de Cahors et Assier. Natalie s’est récemment qualifiée pour les championnats de France de judo en sport adapté qui se tiendront début avril, à Montauban. « Pas encore championne, » rectifie l’intéressée d’un air grave. « Il faut encore que je passe la ceinture noire. »

 

Ici, on préfère le mot « résident » au mot « patient, » et tout le monde s’appelle par son prénom. Une trentaine de résidents entre 18 et 74 ans, atteints de légère déficience mentale, de trisomie, ou de léger handicap physique vivent au foyer à l’année. Ils ont leur propre chambre dans l’unité, plus ou moins éloignée du staff selon leur degré d’autonomie. Le foyer, qui ressemble à un petit village, les héberge dans quatre studios, un pavillon de huit chambres, un autre de quatre et deux unités de dix chambres – bientôt sept, mais plus spacieuses.

 

« Ils sont chez eux ici, » nous dit Stéphanie Perrinet. A 48 ans, l’ancienne aide-soignante passée par une école d’infirmière avant de devenir cadre à l’ICM depuis 2014 est en charge du bon fonctionnement du foyer depuis quatre ans. Entre les entrées et les sorties, le suivi du budget, la gestion du personnel et celle des résidents, sans compter les achats et les travaux à venir pour adapter le foyer, c’est l’accompagnement qui la porte avant tout.  « Prendre soin des gens fait partie de mes valeurs depuis que je suis toute jeune. »

Stéphanie Perrinet peut compter sur une équipe d’une trentaine de personnes pour accompagner les résidents, entre les gestionnaires, les éducateurs spécialisés, les moniteurs, le personnel accompagnant et les soignants. « C’est important, quand je dis qu’on est une équipe et qu’on a besoin de tout le monde, je pense vraiment qu’on a besoin de tout le monde. »

Résidents actifs

Bruno Lafon est un des quatre moniteurs spécialisés qui accompagnent les résidents à l’atelier Créa-Déco, où leurs créations en bois qu’ils vendront à la commune de Leyme s’entassent pêle-mêle dans une odeur de sciure. Ce jour-là, il prépare des fiches techniques pédagogiques pour les aider à réviser autour du bois et des outils. Un des résidents, Yoyo, se lève pour dire bonjour à tout le monde. « On y va Yoyo ? » dit Bruno. Ni une ni deux, Yoyo le serre dans ses bras, avant de repartir plancher. « On fait aussi des ateliers cuisine, » dit Stéphanie. « Ils aiment cuisiner, mais il faut un peu encadrer sinon ça serait burger tous les jours. »

Malgré leurs déficiences et leur autonomie relative, les résidents sont considérés comme des personnes à part entière qui ont leur rôle à jouer au sein de l’établissement. Ils font pousser leurs propres légumes dans la serre avoisinante, et s’occupent des espaces verts environnants quand le temps le permet. Les résidents fleurissent le village de Leyme depuis plusieurs années, et le foyer multiplie les partenariats avec l’extérieur pour leur donner une ouverture sur le monde, y compris au contact des animaux comme avec le Parc animalier de Gramat.

Entre la création-déco, la ferronnerie d’art, le club de théâtre et le judo, toutes ces activités, pensées des mois à l’avance, sont cruciales au bien-être des résidents. Ils peuvent en changer aux vacances de Noël, mais c’est l’engagement qui prime. « On leur demande de s’impliquer, » dit Stéphanie Perrinet. « Ce qu’on veut, c’est qu’ils s’engagent sur les mois où ils s’inscrivent, sinon ça n’a pas de sens. »

Le foyer met aussi en place des partenariats avec d’autres établissements de l’ICM pour encourager les échanges entre résidents autonomes, ou des résidents un peu plus jeunes issus d’instituts médico-éducatifs qui pourraient un jour intégrer une structure comme celle-ci.

« La Passerelle » organise aussi des séjours adaptés, en organisme ou avec l’équipe de l’ICM, comme au Cap d’Agde, au Puy de Dôme ou encore au Cap Ferret.  Malgré tout, il arrive que les résidents se heurtent au monde extérieur. Un groupe de résidents s’est récemment vu refuser l’accès du salon des antiquaires de Figeac « parce que leur profil ne correspondait pas, » d’après Stéphanie Perrinet. « C’était la première fois qu’on les refusait alors qu’ils vont dans des brocantes, » dit-elle. « Ils m’ont dit: C’est méchant. Ils ont été pointés du doigt et ça les a vraiment affectés. » Mais ces cas sont rares, assure-t-telle.

Les éducateurs accompagnent aussi les résidents pour les « navettes » toutes les deux semaines, afin qu’ils fassent le plein de petits plaisirs comme des sucreries ou du tabac pour les plus vieux. Mais ils font face à de sérieux déficit de moyens de locomotion dans un secteur enclavé qui manque de transport en commun, ce qui complique les rencontres avec les familles et ajoutent à l’isolement des résidents. « C’est devenu très compliqué. Souvent on les véhicule nous-même, et les familles font la moitié du chemin,” explique la directrice.

Contact familial

Carine Calmettes, une des éducatrices spécialisées, acquiesce. « Avant c’était facile, on avait un système de transport à la demande, mais maintenant le car passe tous les quinze jours donc les familles doivent s’adapter, » dit-elle. En plus d’aider les résidents pour leur toilette ou le ménage, elle les accompagne dans leur projet, s’occupe du bilan des futurs résidents ou les aide à formuler leur projet de vie. « C’est une mission très variée, on a une vision globale. »

Son rôle inclut de faire la passerelle avec les familles des résidents, une médiation qui, elle l’admet, peut parfois être compliquée. Lorsque des mineurs en besoin d’accompagnement sortent d’instituts médico-éducatifs, les autorités parentales ne sont pas nécessairement leurs représentants légaux et rien n’empêche le résident de couper les ponts. C’est le choix du résident, majeur, qui prime. « Si le résident ne veut pas qu’on informe les familles, elles peuvent n’être au courant de rien si c’est le choix du résident, » explique-t-elle.

« Pour certaines familles le passage d’enfant à adulte peut être très compliqué, mais nous sommes là pour leur expliquer que c’est leur droit, que c’est leur choix, que c’est à eux de décider de ce qu’ils ont envie de faire. » Malgré tout, les éducateurs spécialisés sont dans le conseil pour réparer ce lien et expliquer au résident que « ce serait bien de voir avec la famille, » ne serait-ce que pour assurer un suivi dans les accompagnements, les apprentissages et les projets du résident.

Le foyer inclut un Conseil de Vie Sociale (CVS) qui se tient tous les trimestres. Les élus des familles y rencontrent l’équipe du foyer qui leur explique le fonctionnement et les projets à venir de la structure.  C’est aussi l’occasion d’être en contact avec les représentants des résidents, du personnel de l’ICM et de la commune.

« Certaines familles sont vraiment investies dans cet accompagnement, mais il y en a d’autres qu’on ne voit jamais, avec qui on est très peu en contact, » raconte Carine Calmettes.

« Et ceux qui n’ont pas de famille. » Pour eux, c’est compliqué de voir les autres partir en week-end ou aux fêtes de Noël, c’est pourquoi l’équipe s’attelle à travailler sur des projets en famille d’accueil ou des séjours en vacance sur des temps un peu difficiles. « Au moins qu’ils puissent se dire : Moi aussi, je pars ».

Communiquer clairement

L’autre défi des éducateurs, c’est la communication. Ils doivent constamment adapter les outils de l’hôpital, comme le règlement intérieur, au niveau de compréhension des résidents, en phrases claires. « Avec certains il faut faire des phrases très courtes, des mots très clairs, éviter les mots trop techniques, » dit Carine Calmettes. « Par exemple avec le règlement intérieur, il faut revoir toutes les phrases, en demandant à chaque fois : Est-ce que tu as bien compris ce que tu signes ? »

Les éducateurs doivent toujours être très vigilants à adapter leurs mots au quotidien, car les subtilités de la langue française peuvent être compliquées, et certains résidents ont tendance à tout prendre au pied de la lettre. « Parfois ça peut amener à des situations un peu bizarres, » dit Carine en pouffant. « Un exemple, » se souvient Carine Calmettes, « j’ai dit à une résidente qui achète du lait en bouteille qui allait se périmer: “Il faudra penser à vider ces bouteilles,” mais dans le sens de les boire. « La résidente a pris les bouteilles et les a toutes vidées dans l’évier », se rappelle-t-elle avec un sourire.

Tout un parcours

 Pour intégrer le foyer, un premier contact est indispensable. Un mineur sortant d’un institut médico-éducatif doit d’abord rencontrer l’équipe, puis faire une journée d’essai pour voir si la structure correspond à ses attentes.

Un stage renouvelable est ensuite possible, mais l’intégration doit être progressive afin d’effectuer une vraie évaluation. « On ne peut pas les faire rentrer directement, on ne les connaît pas, ils ne nous connaissent pas et il faut bien pouvoir évaluer les candidats, » dit Stéphanie Perrinet.

L’équipe évalue l’autonomie du futur résident et décide ensuite d’où l’héberger, au foyer près du staff, ou en maison un peu plus éloignée.

Dans les chambres, qui ont toutes un accès à l’extérieur, les objets personnels des patients comme des posters de chevaux, peluches, ou des photos dans des cadres en bois viennent briser la monotonie attendue d’un foyer.

« On voit vite quand on rentre dans une chambre si c’est le bazar ou si c’est rangé, » dit Stéphanie Perrinet. C’est d’autant plus simple que l’équipe vit avec eux au quotidien, ce qui crée un lien affectif fort et rend parfois la distance nécessaire difficile, admet-elle volontiers.

« Il faut une certaine limite, une distance, mais ils vivent ici, c’est leur maison » dit-elle. « Ce n’est pas comme à l’hôpital où on les voit quelques jours et ils repartent. »

« Ici ils ont tous un passé, un parcours de vie qui pour certains est compliqué, donc forcément ça nous touche, ça nous affecte, » ajoute-t-elle. « Après tout, on est tous des humains. »

Le Foyer bientôt en travaux

Le centre s’apprête à faire de grands travaux dans les prochains mois pour accueillir les résidents du foyer dans des chambres plus spacieuses. « On a 10 chambres mais elles sont petites, on va arriver à 7 chambres par unité, donc moins de chambres mais plus grandes », explique la Directrice. Le projet d’investissement, validé en septembre dernier, s’élève à 1.3 million d’euros, mais il inclut de refaire entièrement le foyer, de gagner en place perdue et de reconvertir certaines salles pour le bien-être des résidents.

Le chantier, devrait durer trois ans et sera découpé en plusieurs phase de six mois afin de déranger le moins possible les résidents. Malgré tout, le foyer devra « jouer aux chaise musicale pour déplacer les résidents, » et l’ICM mettra à la disposition du foyer une autre maison de cinq chambres pour les plus autonomes. Une autonomie rapidement décelée par les éducateurs, selon l’aptitude de chacun aux soins d’hygiène et l’aptitude au rangement.