“Nous sommes obligés de compter les troupes, parce que nous n’y arrivons plus”

Le docteur Bernard Kierzek, psychiatre, est le médecin-chef du Pôle clinique 1 (Sud du Lot) à l’Institut Camille Miret. Nous avons eu l’occasion de le rencontrer pour une interview-portrait pour évoquer son parcours, sa vision de la psychiatrie et les défis du métier. (1ère Partie)

De quoi souffre la psychiatrie aujourd’hui ?

Dr Kierzek : La psychiatrie est le poste budgétaire le plus important de la santé et la spécialité la plus en difficulté aujourd’hui. Les difficultés se trouvent au niveau des investissements, des moyens, des financements et du recrutement.

Sur les moyens et les investissements, le problème est général dans tous les hôpitaux. Au niveau des ressources, à la différence du secteur Médecine, Chirurgie, Obstétrique (MCO) où les séjours sont de plus courte durée, la tarification à l’activité n’a jamais pu être appliquée.

En quoi cela heurte-t-il le secteur ?

En psychiatrie, c’est beaucoup plus compliqué d’évaluer l’activité en tant que telle. On a supprimé beaucoup de lit, et on valorise désormais l’activité extrahospitalière ; celle-ci suppose des moyens pour assurer les hospitalisations à domicile et de jour.

Par exemple, ma dernière assistante, une grande spécialiste de la psychiatrie de la personne âgée qui est partie en Suisse avec son mari psychiatre, a été embauchée à Genève. Elle n’a pas plus de six patients par jour dans son contrat, ce qui veut dire au moins une heure par patient et donc la possibilité d’assurer une véritable prise en charge.

En ce qui nous concerne pour obtenir des financements, nous sommes obligés de multiplier le nombre d’actes.

 Ceci se fait au détriment du temps consacré à l’administratif, devenu omniprésent, avec des attendus de plus en plus importants et un temps de moins en moins important pour s’adapter.

Derrière tout ça il y aussi des exigences des tutelles, qui sont tout à fait légitimes sauf que ces exigences ne peuvent pas être les mêmes selon l’importance de l’établissement. Les petits établissements ont de grandes difficultés.

La psychiatrie fait-elle aussi face à des problèmes de recrutement ?

Le recrutement pose problème depuis 40 ans – le numerus clausus — je suis de la première année du numerus clausus.

En 1972, à l’époque où j’étais à Nancy, on était 1 600 en première année, ils en prenaient 400 dont 70 dentaires. J’ai été enseignant, je sais qu’à l’heure actuelle il y a plus de 2000 étudiants pour 180 places.

A l’époque, les économistes nous disaient, là où il y a du médecin, on crée de la demande. Moins il y aura de médecin, moins il y aura de demande. Ce qui s’est avéré totalement faux.

Et puis la psychiatrie est tombée depuis des années en déshérence vu les conditions d’exercice dans les hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés à but non lucratif.

 L’attrait du libéral est de plus en plus grand, résultat, on a des postes d’assistants et de praticiens hospitaliers non-occupés de plus en plus nombreux.

Autre difficultés, ce sont les exigences de nos collègues professeurs qui exigent un temps de passage dans leur service de plus en plus important de la part des internes, ce qui fait que dans les départements et des hôpitaux, au fin fond des régions, nous n’avons personne.

Donc ça crée un entonnoir au niveau du recrutement ?

Bien sûr ! Et lorsque vous êtes un jeune couple, que vous avez un enfant pour qui vous vous posez la question de la scolarité, ça peut être compliqué. Ce que l’on comprend, mais il y a beaucoup de bonnes écoles dans le Lot.

Ici, on fait de la psychiatrie générale, de la psychiatrie de la campagne, ça n’a rien à voir avec la psychiatrie des grandes villes. Le rythme n’est pas le même et la patientèle non plus. Tout cela n’attire pas nécessairement nos jeunes collègues.

Après, c’est peut-être aussi notre responsabilité, nous les anciens. Nous ne sommes peut-être pas assez présents, pas assez intégrés à l’université, c’est un gros obstacle.

Il y a une évolution de la spécialité dans son exercice et un rapport au travail qui a complètement changé, ce qui nécessite une adaptation des institutions qui ne se fait pas comme ça.

La psychiatrie de campagne est-elle délaissée ?

Dans la psychiatrie de la ville, j’entends les CHU (Centre hospitalier Universitaires) des grandes villes on a des services hyperspécialisés, des urgences avec un tout venant, une activité très importante et un travail de recherche intégré à la structure.

En psychiatrie de campagne, on n’a pas de service spécialisé, il faut quand même qu’on valorise notre travail autrement, ce qui n’est pas simple. Nous n’avons pas tous les outils que peuvent avoir les CHU et les grandes villes où le travail de recherche se fait beaucoup plus facilement, avec plus d’accès aux outils modernes.

Et Leyme comme d’autres endroits, reste un héritier de la loi du 30 juin 1838, c’est à dire que c’est l’asile au fond de la campagne. Or 80% à 90% de la population vit dans les villes maintenant et plus à la campagne. Etre un jeune médecin à Leyme, c’est un choix de vie qui n’est pas simple.

La psychiatrie souffre-t-elle d’un problème d’image ?

Bien sûr. Mais le problème d’image remonte à loin.  Si on reprend l’Histoire, la psychiatrie au départ était sous la responsabilité du Ministère de l’Intérieur. Il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour que ça passe sous la responsabilité du Ministère de la Santé.

Après, il a fallu attendre les années 90, pour qu’on sépare le champ du médico-social du champ du sanitaire.

Mais on demande de plus en plus de choses à la psychiatrie qui ne sont pas nécessairement de son ressort. On nous donne des missions de plus en plus importantes et nombreuses nous éloignant de la psychiatrie en tant que telle.

Ainsi, on demande de plus en plus d’expertise psychiatrique pour tout et n’importe quoi, si j’ose dire.

A l’heure actuelle nous sommes obligés de compter les troupes parce que nous n’y arrivons plus.

Il suffit de voir les cadres supérieurs de l’ICM qui passent leur temps sur les problèmes de recrutement, de planning : On est toujours obligés de chercher des remplaçants, il n’y a pas de continuité dans la prise en charge. Les jeunes ne veulent plus trop y aller, c’est très compliqué.

L’autre élément qui explique beaucoup de choses, c’est qu’on confond souvent la santé mentale avec la psychiatrie.

Et ça, ça pose problème, parce qu’on nous donne des missions qu’on a assumées pendant un temps mais qu’on ne peut plus assumer.  On est obligé de se replier sur notre pratique et abandonner des missions qui nous étaient dévolues.

Dans le champ de la personne âgée, on a été extrêmement présents, on a fait beaucoup à la place du médico-social et du social. Mais aujourd’hui on ne peut plus.