“Exister autrement” pour attirer de nouveaux médecins

Le docteur Edmond Manouelian, psychiatre, est le médecin-chef du Pôle clinique 02 (Nord du Lot) de l’Institut Camille Miret. Nous avons eu l’occasion de le rencontrer pour une interview-portrait afin d’évoquer son parcours, sa vision de la psychiatrie et les défis du métier. (3ème partie)

Pourquoi, aujourd’hui, est-ce aussi difficile d’attirer de nouveaux praticiens dans la profession ?

Dr Manouelian : Il y a plusieurs raisons à ça. D’abord, la psychiatrie est la première spécialité nationale en terme de coût médical. Ça coûte 23% du budget, entre les soins, les hospitalisations et les arrêts maladies. C’est plus que tous les cancers réunis, plus que toutes les maladies cardio-vasculaires réunies.

Malgré ça, on a pratiquement éteint la filière psychiatrie en terme de formation universitaire. Quand j’ai passé le concours de l’internat dans la région PACA, il y avait 250-260 candidats en région PACA. C’est descendu jusqu’à une vingtaine ! La production en nombre de psychiatres formés dans cette trajectoire-là s’est effondrée.

Le résultat, c’est qu’il y a des services qui tournent sans psychiatre et plus vous allez vers le nord de la France et plus ça se raréfie. On a des faisant fonction, on a des intérimaires, mais on n’a pas de psychiatres.

J’ai l’impression que cette filière-là est pratiquement éteinte. Qu’est-ce qu’on voulait faire de la psychiatrie il y a 30 ans ? Je ne sais pas, de la chimiatrie ? Ce qui est certain c’est que dans les pays anglo-saxons, le modèle américain fonctionne comme ça. Il y a peu de psychiatrie. Ou vous avez les moyens de vous payer un psychiatre libéral ou alors vous êtes hospitalisé parce que c’est urgent ou alors vous êtes interné au long cours parce que vous êtes dangereux.

Je ne suis pas certain que ce soit écrit comme ça, aussi franchement, dans la pensée des organisateurs de la filière psychiatrie, mais sur le terrain ça a été vécu comme ça. Donc on a ré-augmenté le nombre de psychiatres en formation, d’internes et de validation du cursus universitaire mais dans le principe on a presque éteint cette lignée-là.

C’est aussi un défi d’attirer des médecins à la campagne ?

Il y a l’isolement, ce n’est pas facile de venir à la campagne. Moi, j’ai fait un choix de vie. Ceux que je vois, et qui viennent s’installer ici, ce sont des médecins qui choisissent de venir ici.  S’il n’y a pas ça, on ne vient pas s’installer au fin fond de la France. Moi, je sais que je ne retournerai jamais vivre en milieu urbain.

Mes voisins, c’est les chevreuils, les sangliers, les lièvres et voilà. Pourtant, je suis né dans les quartiers Nord de Marseille.

 

La psychiatrie a-t-elle assez de moyens pour attirer de nouveaux praticiens ?

Ici, on est privé à but non lucratif, missionnés par la Santé Publique pour faire office de gestionnaire et d’organisation des soins de santé mentale. Notre tutelle c’est l’ARS (Agence Régionale de Santé), notre budget c’est un budget Sécu- privé à but non-lucratif, ça veut dire qu’on ne gagne pas d’argent !

On a même des statuts qui sont inférieurs individuellement à ce qu’on trouve dans le public. Les infirmières sont mieux payées dans le public que chez nous. C’est le statut, c’est le salaire. On est handicapés par la grille conventionnelle qui est moins payée ici que dans le public, soyons clairs. Il y a des systèmes qui contrebalancent mais les hôpitaux publics l’ont compris aussi. Ils ont trouvé des biais maintenant pour chasser le client. On est de moins en moins nombreux donc il y a une course à l’échalote, ça compte aussi. Pour les soignants et les infirmiers c’est pareil, vous avez à peu près 300 euros d’écart par mois pour un salaire d’infirmière. Il faut être motivé pour venir ici.

Donc il y a tout ça en même temps, l’isolement, le choix de vie, les statuts financiers qui ne sont pas les mêmes. Et puis l’image de la psychiatrie.

Ça change un peu, on voit passer, on a vu passer quelques internes qui ont fait l’effort de venir jusqu’ici. À ma grande surprise, ils étaient bien formés au niveau théorique, au niveau approche, mais il n’y en a pas beaucoup qui s’intéressent à notre établissement. Quand vous allez dans les écoles de formation des soignants, on se demande comment on présente la psychiatrie pour donner envie aux gens de venir travailler ici. Après, les gens qui passent ici et que je retrouve ailleurs gardent tous un bon souvenir. Mais il n’empêche que c’est pas simple de venir travailler là.

Et par rapport à la charge de travail ?

Et l’autre élément, c’est l’effet boule de neige. Là, sur les douze postes que j’ai sur le pôle, trois et demi sont vacants. C’est-à-dire que le travail doit être fait, vous devez faire ce que d’autres devraient faire. Ça alourdit la tâche.

Au final, pour un poste on finit par avoir le travail de plusieurs ?

Ah oui, la pression monte. Et encore, ici, on a des moyens par rapport à d’autres ! On en parlait avec Dr Bernard Kierzek (chef de pôle du Pôle Sud de l’ICM) qui a de la famille dans l’Est de la France. Dans certains services, il n’y a personne, seulement les patients, les faisant fonction. Mais comment on soigne, c’est une autre question.

Ici, il faut mettre plus en avant la communauté médicale, il faut expliquer ce qui nous faisons auprès des patients, il faut exister autrement et changer l’image de la psychiatrie.