Conférence sur Marie Denizard : Le destin tragique d’une féministe avant l’heure

Il y a quelques mois, plusieurs demandes de consultation d’un dossier médical d’une patiente, décédée à « l’asile de Leyme » en 1959, ont étonné un de nos psychiatres, le Médecin Chef de pôle, Dr Bernard Kierzek, et notre Direction Générale. Si ces demandes sont courantes, notamment de la part des familles, elles le sont très rarement de la part d’une historienne. C’est en entrant en contact avec la famille et l’historienne, et en faisant quelques recherches, que nos équipes ont pris connaissance de la singularité du dossier de Marie Denizard. Dans un contexte où nous devons encore lutter pour faire valoir les droits des femmes, il nous est apparu important de mettre en avant l’histoire de cette femme courageuse qui a ouvert la voie à de nombreuses autres ce qui lui a sûrement valu d’être internée pendant près de 32 ans.

 

« Certains mots tuent »

C’est ainsi que le Dr Bernard Kierzek, psychiatre-chef de Pôle à l’Institut Camille Miret, a ouvert et conclu la conférence sur Marie Denizard, co-animée par Prescillia Da Silva, historienne à l’Université Gustave Eiffel de Paris,.

La salle de conférence était comble ce jeudi 11 avril, à Cahors, pour écouter le destin tragique de cette femme, née en 1872, féministe de première heure aux ambitions présidentielles brisées après sa défaite face à Raymond Poincaré, et morte en asile à Leyme après 32 ans d’internement.

Presque 200 personnes se sont déplacées pour comprendre le destin tragique de cette femme en avance sur son siècle, brisée par un système politique misogyne qui l’ont graduellement coupé du monde et d’elle-même.

La conférence a donné lieu à un débat animé avec le public sur le martyr de Marie Denizard, les droits des femmes et l’héritage controversé d’une psychiatrie parfois trop prompte dans le passé à se mettre au service de la politique pour étouffer les volontés dissidentes.

Cette femme a-t-elle payé le prix de ses idées progressistes ? A quel point la persécution dont elle a fait l’objet a-t-elle pris le pas sur sa perception de la réalité ? Marie Denizard a-t-elle été internée à cause de son engagement politique ou de sa pathologie ?

Au cours de la conférence, Prescillia Da Silva et le Dr Kierzek ont dressé le portrait d’une battante à l’idéal féministe, brisée par une brutale campagne de presse contre ses ambitions politiques, et dont l’isolement et la précarité ont achevé de l’enfermer en elle-même.

« C’était un destin difficile, » a souligné le Dr Kierzek. « Mais elle n’avait pas de troubles démentiels, elle était enfermée, et dans son enfermement, elle s’est enfermée psychologiquement. »

Prescillia Da Silva a notamment évoqué le sexisme cruel auquel la candidate, seule contre tous, avait fait face en 1913 lors de sa campagne présidentielle contre Raymond Poincaré pour améliorer les droits des femmes.

Une campagne qui, liée à la pauvreté et au sentiment de persécution qui ont frappé Marie Denizard, en avait fait une proie facile pour les autorités d’alors pour lesquelles un militantisme exacerbé était suspect et pouvait justifier l’enfermement psychiatrique.

« A l’heure actuelle, Marie Denizard aurait quinze jours d’hospitalisation libre, un programme de soin, et une prise en charge ambulatoire, mais pas 32 ans, » a insisté le psychiatre-chef.

Dans son combat, Marie Denizard « portait l’étendard du féminisme dans le Nord de la France, » a rappelé l’historienne, passionnée par l’Histoire des femmes.

« C’était un peu un pari au début, parce que je ne savais pas sur quoi j’allais tomber, » nous a dit Prescillia Da Silva. « J’ai appelé le Centre Hospitalier Spécialisé Jean-Pierre Falret de l’Institut Camille Miret, un peu sur un coup de chance, et ce dossier incroyable a fait le reste. »

Que Marie Denizard ait été hospitalisée parce qu’elle avait manifesté des idées féministes ou pour un trouble psychique qui l’avait amené à menacer des huissiers et à voir un complot contre elle, cela ne discréditait pas son engagement, a rappelé le Dr Kierzek.

Et c’est avec « beaucoup d’émotions » que Sylvie Denizard, l’arrière-petite-nièce de Marie Denizard, a visité, le matin précédant la conférence, l’hôpital de Leyme, où son aïeule est décédée en 1959 après 32 ans d’internement.

Une visite marquée par un pèlerinage émouvant à l’ancien cimetière de l’Institut Camille Miret, où des numéros rouillés font toujours office de plaque en place de noms pour protéger le droit des patients à l’anonymat, des décennies après leur mort.

Partie sur les traces de son arrière-grand-tante, Sylvie Denizard avait à cœur, comme Prescilla da Silva, de réhabiliter la mémoire d’un mythe familial trop longtemps passé sous silence par honte.

« Quand mon grand-père en parlait, il me disait qu’elle était folle, qu’elle avait été enfermée, » dit Sylvie Denizard. « Alors que c’était surtout une femme qui avait des idées avancées pour l’époque. »

« C’était une femme courageuse, et qui valait de par son histoire singulière une conférence, » a rappelé le Dr Kierzek le même soir à Cahors.

« Marie Denizard a été tuée psychologiquement par toute cette campagne de haine et son exil asilaire de 32 ans est probablement la conséquence de ces mots qui tuent. »

Mais que les absents se rassurent et le notent (un peu en avance) dans leur calendrier, Prescillia Da Silva reviendra à l’Institut Camille Miret dans les prochains mois pour un voyage dans le temps sur les traces des dernières années de Marie Denizard.