26.11.2025
La sociothérapie permet de passer au-delà du soin médicamenteux
L’Histoire de l’Institut Camille Miret est intimement liée à celle de la psychothérapie, de ses errements et de ses progrès. Pour Emmanuel Scicluna, cadre supérieur de santé, la sociothérapie dont il est en charge au sein de l’établissement fait elle aussi partie de cette Histoire, à travers celle, plus intime, des patients. (2ème partie)

À première vue, cela semble paradoxal de développer un dispositif de sociothérapie dans un endroit aussi isolé que Leyme, qui a un passé lié à l’enfermement. Comment redonne-t-on l’envie d’une ouverture au monde face à l’Histoire ?
Historiquement, la sociothérapie s’est longtemps appelée “thérapies à médiation corporelle” ou “à médiation artistique”. C’est une discipline qui a trouvé son fondement dans le traitement moral de la folie, comme on disait à l’époque. Les premiers psychothérapeutes, même s’ils ne portaient pas ce nom de psychothérapeute, étaient des grands noms comme Pinel ou Charcot. Ils ont été parmi les premiers à mettre en place des activités ouvertes dans le dispositif de soins. Il y a d’ailleurs un très beau tableau de Tony Robert-Fleury intitulé « Philippe Pinel libérant des aliénés de leurs chaînes à l’asile de la Salpêtrière à Paris en 1795 ».
Leyme, en 1835 avait cette vocation d’ouverture après avoir été un lieu d’enfermement comme beaucoup d’autres hôpitaux psychiatriques. Lorsque c’est devenu une maison de santé médico-agricole, la notion de travail a pris toute son importance. Cette notion avait, dans le milieu psychiatrique, un caractère thérapeutique. C’est ce qu’on appelait un « établissement d’humanité ». Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que pendant les guerres successives, les hôpitaux se sont vu dépourvus de toute personne parce que les gens partaient à la guerre.
Les patients ont été mis au travail et à l’ICM notamment, toute une organisation avait été mise en place pour que, grâce aux travaux agricoles, les patients et même au-delà, la population puisse continuer à s’alimenter.
L’ergothérapie (NDLR: thérapie par l’occupation) est vraiment née en psychiatrie de cette période de guerre et post-guerre, en étant conscient qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de neuroleptiques et que le travail avait une fonction thérapeutique d’apaisement et de ressourcement.
D’ailleurs, en Lozère, il y avait également l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole, qui, pendant la guerre, a accueilli des réfugiés politiques, des grands noms de la littérature, de la poésie, des résistants. Cet hôpital a été momentanément la propriété du Frère Hilarion, tout comme l’ICM. Il y a des histoires communes. Paul Eluard y a séjourné, et l’un de ses recueils de poèmes s’intitule « Souvenirs de la maison des fous ».
Et tout ce monde participait à la vie de l’hôpital. On s’est rendu compte que finalement, cette participation active faisait partie du soin et que face à l’absence de médicaments à l’époque, c’était une façon d’apaiser les patients qui pouvaient finalement sortir de l’hôpital.
Tout cela a créé le mouvement de la “psychothérapie institutionnelle”, dans lequel, aux côtés des médicaments, l’institution est également soignante. Et pour que l’institution soit soignante, des médiations thérapeutiques sont mises en place.
Aujourd’hui, on n’est plus dans une psychiatrie qui garde les patients très longtemps. Mais ce dispositif de sociothérapie a une histoire de deux siècles et n’est pas arrivé comme cela par hasard. En soit, on n’a rien inventé, mais c’est un appui important pour les soignants, pour les patients, pour l’équipe médicale qui reconnaît qui reconnaissent tous les bienfaits et le bien-fondé de ce dispositif.
Avez-vous fait face à des cas qui vous ont paru trop compliqués à prendre en charge ?
Lorsque le patient est trop dissocié, trop dans le vécu hallucinatoire, ou se sent persécuté, on va aborder les choses doucement. Mais ce n’est effectivement pas toujours possible parce que ce n’est pas le bon moment, le “kairos” comme on dit en grec. Mais on voit très vite à quel moment le patient commence un peu à s’apaiser, à être moins dissocié, moins halluciné, moins persécuté. Et c’est là qu’on a une ouverture, c’est là qu’il faut agir et passer au-delà d’un soin exclusivement médicamenteux dont les effets secondaires peuvent être mal vécus.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de soins ?
Se poser autour d’une table, prendre un gros bloc de terre, commencer à mettre les mains dans la terre peut très bien convenir à quelqu’un de très obsessionnel par exemple. L’idée, c’est d’expérimenter avec la matière. C’est brut. Quelqu’un qui est obsessionnel a besoin de s’impliquer tout de suite de construire quelque chose, d’obtenir une forme rapidement visible. Donc la peinture sur soie, ce n’est pas une bonne piste.
Si le patient décompense psychiquement, il va à l’unité fermée de crise, l’UFHC, puis dans une unité de post-crise où il va bénéficier de soins médicamenteux, psychothérapeutiques avec des outils particuliers. La médiation va apporter encore autre chose. C’est comme une espèce de puzzle, qui implique l’idée de “holding”, de “portage” en anglais.
Le « holding » de Donald Winnicott (1896-1971), pédiatre et psychanalyste anglais, désigne les soins physiques et psychologiques prodigués par une mère à son enfant, créant un environnement bienveillant où le bébé se sent en sécurité et suffisamment soutenu pour développer une confiance en soi. Ce concept s’étend à la relation thérapeutique, où le thérapeute offre un « holding » similaire en créant un espace stable et empathique permettant au patient d’explorer et de guérir de ses traumatismes émotionnels en offrant compréhension et présence, selon Winnicott.)
L’idée, c’est de contenir, mais aussi de bercer. L’objet médium va permettre de porter et de contenir aussi. C’est ce portage, cette contenance plutôt que la contention qu’on recherche. Nous aimerions ici parvenir à éliminer la contention, ou en tout cas, avoir un moindre recours à la contention et à l’isolement. Pour cela, quand le patient va sortir de l’isolement, on va pouvoir lui apporter cette contenance qui est une vraie transition.
Quel rôle joue ce médium dans la capacité du patient à se projeter, à sortir de soi ?
Par le médium, on va travailler la question du symbolique, de l’imaginaire, on va travailler la question de la projection. Par exemple, l’ergothérapeute commence à aller vers une expérimentation particulière. Puis, à un moment donné, le patient rentre de permission et ramène un objet qui lui appartient, qui a un sens pour lui, pas trop grand de préférence, pour pouvoir le mettre dans sa chambre.
Ce faisant, et d’une certaine manière il va le restaurer. Cette restauration de l’objet est en lien avec la restauration psychique. Il va se projeter pour se dire, “Tiens, je le mettrai là. Il va réinvestir son logement, il va réinvestir quelque chose de la pensée de l’extérieur.” Et là, on est déjà vers l’extérieur et vers ce pont qui vient de se créer.
Est-ce aussi une façon de restaurer le rapport avec l’autre ?
Oui, on touche à l’altérité. On entre là dans la relation, dans une rencontre thérapeutique qui se fait de part et d’autre. Le patient va observer le soignant. Il va être dans une notion de transfert. Parfois, le soignant va être aussi dans une forme de transfert, à la différence que ce transfert est pensé et rediscuté en supervision avec un thérapeute ou un collègue. Et il y a aussi cette question d’un contre-transfert qui peut, à un moment donné, compliquer la relation thérapeutique.
Qu’est-ce que le contre-transfert ?
Par exemple, le contre-transfert, c’est lorsque moi, je suis soignant, et qu’un patient me renvoie quelque chose de ma propre expérience, ou d’une expérience qui m’insupporte. Il est essentiel que les soignants travaillent sur cette question. Et c’est précisément pour cela que tout doit se dérouler en synthèse clinique avec les autres professionnels du dispositif.