24.09.2025
« Notre métier, c’est d’évaluer le potentiel de ceux qu’on aide »
La Maison d’Accueil Spécialisée (MAS) de Leyme est une structure cruciale au sein de l’Institut Camille Miret pour les résidents au handicap lourd, qui ont besoin d’une aide humaine et technique permanente, proche et individualisée. Anne A’Campo, Directrice de la MAS de Leyme, un des établissements du secteur médico-social de l’ICM, nous a ouvert ses portes. (1ère partie)

Qu’est-ce qu’une Maison d’Accueil Spécialisée (MAS) ?
Cette question est très importante car la représentation que l’on peut avoir d’une MAS est souvent erronée. Beaucoup imaginent que ces structures sont uniquement réservées à des personnes extrêmement handicapées et qui ne présenteraient quasiment aucune compétence.
Or, une personne qui n’aurait aucune compétence cela n’existe pas, y compris parmi le public que nous accueillons et qui sont toutes des personnes en difficulté de manière très sérieuse. Ce ne sont pas de petits dysfonctionnements. Nos résidents rencontrent de réelles incapacités à faire des choses simples de la vie quotidienne et qui ne sont pas uniquement se laver, manger, etc. Si par exemple, je ne suis pas capable au quotidien d’assurer ma sécurité, cela signifie que j’ai un handicap au quotidien.
Ce sont des personnes qui ont une situation complexe de handicap, que ce soit cognitif, psychique ou physique. Cette complexité fait que vous ne pouvez pas vous en sortir dans la vie quotidienne et que vous avez besoin d’une aide qui peut être de toute nature. Cela peut consister à être aidé pour manger, pour se déplacer, pour prendre une décision qui va dans son propre intérêt, aidé à avoir une vie sexuelle au même titre que tout un chacun, sujet qui reste tabou aujourd’hui.
En résumé, travailler à la MAS, c’est vraiment aider un être humain dans tous les gestes de sa vie, et accompagner au jour le jour un être humain dans une situation complexe.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les admissions au sein de la structure ?
Dans cette MAS, il y a un historique en matière d’admissions qui sont de deux natures.
Les premières admissions relevaient de la psychiatrie. Pour ceux qui ont vécu cette époque, il m’a été rapporté que nos futurs résidents étaient tous arrivés le même jour, le jour même de l’ouverture de la structure, il y a 25 ans. Dans ce schéma, elles sont toutes en train de vieillir en même temps.
La seconde nature d’admission est l’admission de personnes qui sont en situation de polyhandicap grave. Ce sont des personnes que l’on nomme moins communicantes, qui sont dans un fauteuil et que nous devons nourrir par sonde.
Il est très important de comprendre que les résidents accueillis ne sont pas tous dans une situation de grave handicap. Si nous avions 67 personnes dans cette situation, notre métier serait tout à fait différent.
Récemment nous avons procédé à des admissions de deux personnes qui ont de grosses capacités ce qui a désarçonné les professionnels : « Mais c’est une erreur, il n’est pas pour nous, on ne sait pas faire. »
En fait, nos professionnels ont tellement pris l’habitude de faire à la place des résidents, avec des personnes qu’on imagine ne pas pouvoir communiquer, que si l’on accueille une personne qui parle et qui dit : « Je ne suis pas d’accord avec ça », alors ils disent : « Ce n’est pas notre métier. »
C’est là précisément que nous devons intervenir et engager nos professionnels à « faire avec » et non « à la place de » avec nos résidents
Comment voyez-vous votre rôle à la tête de la structure ?
En MAS, nous avons la responsabilité de gérer et le niveau de dépendance et le niveau d’autonomie globale. Si nous n’abordons pas notre profession de cette manière en mettant en place un certain accompagnement, car nous parlons d’autonomie et de capacités, les professionnels vont s’épuiser.
En n’oubliant pas les fonctions de base. Cela veut dire que le matin, il y a 67 toilettes à faire, ce qui veut dire 67 fois 5 changes à faire dans la journée. Ne pas rester sur cette unique vision est indispensable.
Et lorsqu’on varie les handicaps, le travail en est plus diversifié. L’accueil d’un public hétérogène est donc essentiel.
Pour accompagner nos 67 résidents, nous avons un budget pour 84 professionnels dont 10 la nuit. Parmi ces professionnels il y des encadrants, des coordinateurs, des infirmiers, des éducateurs et beaucoup d’autres métiers indispensables.
Comment travaillez-vous avec des résidents qui n’arrivent pas à communiquer ? Comment établissez-vous ce contact ?
On peut se poser la même question lorsque l’on rencontre quelqu’un dont on ne parle pas la langue. On communique quand même, mais on utilise des moyens différents. Parfois, on est démunis sur le sens à donner aux réactions des résidents ce qui peut engendrer une réelle incompréhension. On ne sait pas, par exemple, si cette personne, lorsqu’elle pousse un cri, veut nous sire quelque chose ou si c’est un réflexe ?
On ne peut pas être certain que c’est un message. C’est peut-être un signal, mais on ne sait pas si c’est un message. Cela nécessite une attention particulière et de bien connaître nos résidents. Cette connaissance, parfois, ne peut se faire qu’avec le temps.
Notre métier consiste également à évaluer les compétences de la personne afin de déterminer ensuite ses potentiels et ses objectifs.
La force de l’ICM, c’est que l’on nous a donné tous les moyens pour affiner cette approche. Nous avons pu engager des fonds particulièrement importants pour une formation impliquant 100% des professionnels. C’est un énorme effort qui, s’il était indispensable, doit être souligné.
Les personnes qui sont admises dans la MAS y restent-elles toutes leur vie ?
Oui, elles peuvent rester ici toute leur vie, voire jusqu’à leur décès.
Et dans ces cas-là, comment gère-t-on l’après, avec la famille ?
Le soutien est crucial. Et parfois, il concerne autant les professionnels que la famille.
Il existe un phénomène d’attachement de nos professionnels. C’est humain. On ne peut pas accompagner quelqu’un 25 ans sans s’attacher. Nous mettons alors en place des cellules psychologiques pour nos professionnels.
Certains tentent d’accompagner le résident comme on le ferait d’un ami ou d’un membre de sa famille.
Mais il est également important de rappeler que nous ne sommes « que » des professionnels, que nous ne sommes pas obligés d’être triste et qu’il est important de garder une distance.
Accepter ses émotions, savoir les gérer, garder cette distance tout en restant humain c’est aussi ce qui fait la complexité et la beauté de ce métier.