La Maison d’Accueil Spécialisée (MAS) de Leyme est une structure cruciale au sein de l’Institut Camille Miret pour les résidents au handicap lourd, qui ont besoin d’une aide humaine et technique permanente, proche et individualisée. Anne A’Campo, Directrice de la MAS de Leyme, un des établissements du secteur médico-social de l’ICM, nous a ouvert ses portes. (2ème partie)

Quelles difficultés éprouvez vous le plus au jour le jour?

Si parfois je me sens découragée – le mot est trop fort car je ne suis pas découragée – c’est parce que nous avons des difficultés de recrutement. Chaque départ, chaque recrutement qui ne va pas à son terme est un déchirement. Je ne souhaite qu’une seule chose : sortir de cette crise RH. Ce problème est national mais en milieu très rural le retentissement est colossal. Nous faisons appel à de l’intérim, mais jusqu’à quand ? Le Lot est en situation de plein emploi. D’un côté nous avons les intérimaires qui font le choix de la liberté mais qui déstabilisent le système de soins français. Dans autre côté nous avons des personnes qui sont hors de l’emploi et qui en sont trop éloigné pour pouvoir intervenir à des postes qui demandent de disposer de compétences spécifiques et/ou de l’expérience. Nous nous devons de maintenir un niveau d’exigence important au niveau des recrutement.

Au-delà de la problématique du coût de l’intérim c’est notre capacité à garantir la continuité de soins qui est impactée avec des professionnels qui interviennent pour quelques heures seulement. Ce fonctionnement ne correspond pas à l’organisation complexe d’une MAS.

Pour la MAS, au sein même de notre Institution, nous avons un concurrent redoutable sur le plan de l’attractivité : le secteur sanitaire. Peut-être par méconnaissance des métiers du médico-social, les missions du sanitaire peuvent être perçues comme plus nobles et attirent davantage de candidats. Plus d’adrénaline ! Plus de technique ! 

C’est un imaginaire collectif car dans le secteur médico-social il y a aussi de l’adrénaline et de la technicité. Souvent les intérimaires ou vacataires sont surpris par le niveau de technicités des soins dispensés à la MAS.

En parlant de difficulté, la MAS a récemment dû faire face à une crise après une inspection de l’Agence Régionale de Santé. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Il y a eu une première inspection en 2010 et une autre en 2024. Cette inspection ne fait pas suite à un signalement ou à un événement particulier. Elle s’inscrit dans la volonté actuelle du gouvernement de contrôler les établissements. Il n’y a rien à redire à cela. Il est vrai que cette inspection a été une expérience particulière. D’abord parce que c’était une véritable surprise, ensuite parce que les modalités d’inspection sont réellement stressantes et peuvent être perçues comme violentes par les professionnels. Une délégation de 5 personnes se présente à la porte de votre établissement un matin à 8 heures, vous devez tout laisser tomber séance tenante, remettre vos clés, apposer une affiche sur la porte d’entrée, répondre à toutes les sollicitations et … rassurer les professionnels. Deux jours d’inspection. Le jour. La nuit.

Encore une fois il n’y a rien à redire et je suis même favorable au principe de l’inspection.

L’inspection s’est déroulée normalement, les professionnels ont été participatifs et un plan d’actions a été construit à l’issu de l’inspection pour répondre aux 2 injonctions, 57 prescriptions et 27 recommandations.  Ce n’était pas une surprise. Il y avait tout juste un an que j’avais pris ce poste et j’avais eu le temps d’identifier les écarts à la norme.  Ce que je regrette c’est qu’avec la Direction Générale nous avions signalé ces écarts à l’ARS en amont de l’inspection. Nous avions demandé qu’un dialogue de gestion resserré soit mis en place pour piloter ensemble cette restructuration. En ce sens, l’inspection m’a semblé inutile et je l’ai perçue à tort ou à raison comme un manque de confiance de la part de nos autorités de tutelle.

Il est évident qu’avant même cette inspection, la volonté de l’ICM était de mettre cet établissement en conformité. Et nous étions au travail avant que la mission d’inspection n’intervienne ! J’aurais nettement préféré un travail de coopération avec l’ARS dès ma prise de fonction plutôt qu’une inspection. L’inspection a certes permis de légitimer le projet de restructuration mais n’a pas eu que des effets positifs. Il faut se mettre à la place des professionnels. Ils ont entendu des mots qu’ils n’ont pas l’habitude d’entendre.

C’est difficile d’entendre le mot terrible de « maltraitance ». C’est difficile, anxiogène et culpabilisant pour les professionnels. Les salariés n’étaient pas prêts à entendre ça et cela les a profondément affectés. La conséquence de ces propos très directs a été que dans les jours qui ont suivi, certains ont démissionné.

Je ne crois pas aux transformations qui se font par la force et dans l’urgence. L’acculturation à de nouvelles pratiques s’inscrit nécessairement dans un temps long. Le calendrier du plan d’actions qui a fait suite à cette inspection est proprement insoutenable notamment dans un contexte de sous-effectifs. Un changement de culture et de pratiques ne se fait pas en quelques semaines ni quelques mois. Nous sommes toujours en cours de restructuration. Mais nous avançons.

Est-ce que toutes ces prescriptions ou est-ce que tous ces reproches sont valables et justifiés ?

Quand les prescriptions sont réglementaires il n’y a pas à discuter. La seule discussion à avoir c’est de déterminer les modalités selon lesquelles le changement sera porté.

Encore une fois avec la Direction Générale nous portons la restructuration de la MAS en nous inscrivant dans un temps long. Le côté positif de l’inspection c’est d’avoir permis de clarifier la nécessité de transformation.

Le public que nous accompagnons à la MAS est en situation de très grande vulnérabilité avec un besoin constant de soins et d’accompagnement.

Il est vrai que nos locaux sont vétustes et que des travaux s’imposaient depuis quelques années. Il est vrai aussi que – probablement d’ailleurs par bienveillance de la part des professionnels – nous avons pris des habitudes de surprotection des résidents. Cela n’est plus en adéquation avec la notion d’autodétermination. Aujourd’hui nous apprenons à prendre davantage de risque pour les résidents, nous apprenons à ne pas penser à leur place mais à les soutenir dans leurs choix, dans leurs projets. Nous apprenons aussi à ne plus faire aucune concession quant au respect de leurs droits et ce quel que soit leur niveau de dépendance, quels que soient les moyens dont nous disposons.

Comment vivez-vous cette crise sur le plan personnel ?

Je me sens utile. C’est un défi. Je suis attachée à cet établissement et à l’Institut Camille Miret. Il reste que cette inspection a donné l’image d’une institution bien différente du regard que je porte sur elle. Travailler à l’Institut Camille Miret, est vraiment confortable, sécurisant et épanouissant. Cela, on ne le dit pas assez.

Malgré les difficultés que traverse l’établissement il n’y a pas de jugement ni de pression de la part de la Direction Générale qui est soutenante. Je n’ai jamais été prise entre deux feux entre l’inspection de l’ARS et la Direction Générale. J’ai un soutien réel de la Direction Générale, et ça, c’est particulièrement appréciable.

La crise que l’inspection nous a fait traverser n’est représentative ni de l’ICM, ni de la MAS, ni des professionnels qui y travaillent.

Aucun établissement n’est à l’abri d’une situation de crise ou de tension. Nous avons traversé cette période difficile comme nous traverserons la crise RH actuelle et nous porterons cet établissement au niveau qu’il mérite.