La Maison d’Accueil Spécialisée (MAS) de Leyme est une structure cruciale au sein de l’Institut Camille Miret pour les résidents au handicap lourd, qui ont besoin d’une aide humaine et technique permanente, proche et individualisée. Anne A’Campo, Directrice de la MAS de Leyme, un des établissements du secteur médico-social de l’ICM, nous a ouvert ses portes. (2ème partie)

Quelles difficultés éprouvez vous le plus au jour le jour?
Les seuls moments où je me sens découragée, le mot est trop fort car je ne suis pas encore découragée, c’est parce qu’on ne trouve pas de professionnel. Si un professionnel présente sa démission, pour moi, c’est désespérant au même titre qu’une personne qui aurait franchi toutes les étapes du recrutement, que l’on embauche et qui au dernier moment ne donne pas suite. Bien sûr, nous sommes isolés et les opportunités professionnelles sont moindres que si vous étiez à Paris.
Or, si le problème est extrêmement profond et qu’il est national, le retentissement que cette situation peut engendrer ici est colossal. Nous faisons appel à des intérims, mais jusqu’à quand ?
On nous dit que c’est le plein emploi. Personnellement, je pense que les personnes qui restent hors de l’emploi sont aujourd’hui des personnes qui ne sont plus employables au sens où nous pouvons l’entendre et quelles qu’en soient les raisons. Il y a un véritable décalage qui s’installe. Nos propres professionnels constatent la souffrance de ces professionnels et nourrissent le sentiment qu’ils ne font pas ce qu’ils devraient faire.
Bien sûr nous essayons de trouver quelque chose pour les personnes qui sont en difficulté et qui cherchent du travail. Mais parfois, cette mission est impossible, et malgré toute notre bonne volonté, malgré notre accueil et notre accompagnement, il est difficile d’intégrer ces professionnels. Ce sont des propos souvent mal interprétés, mais il faut avoir le courage de pouvoir dire qu’il est difficile de réintégrer certaines personnes éloignées de l’emploi.
De même, au sein même de notre Institution, nous avons un concurrent redoutable, c’est le sanitaire. Malheureusement la vision du sanitaire est plus noble que la vision médico-sociale. Beaucoup trop de professionnels pensent qu’il y a plus d’adrénaline à travailler dans le secteur sanitaire quand on est médecin ou infirmier en psychiatrie.
Il y a des urgences, il y a des admissions, parfois du judiciaire. C’est un imaginaire collectif car en médico-social, on a autant d’adrénaline, mais on ne le sait pas. Je pense qu’il y a plus d’autonomie chez nous, et que les cycles sont plus confortables. Et surtout, il n’y a pas de tarification à l’acte.
En parlant de difficulté, la MAS a récemment dû faire face à une crise après une inspection de l’Agence Régionale de Santé. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il y a eu une première inspection en 2010 et une autre en 2024. D’aucuns disent que ce qui a déclenché cette seconde inspection est un signalement de maltraitance. Quelqu’un se serait plaint à l’ARS. Mais lorsqu’on échange avec la direction départementale de l’ARS celle-ci nous certifie que cette seconde inspection est une inspection de suivi, voire de contrôle.
La difficulté de cette MAS, et l’ARS en a été régulièrement informée, est qu’il y a eu une succession de directeurs et qu’aucun ne s’est réellement attaché à porter les prescriptions initiales, pour de nombreuses raisons y compris financières. Il est vrai que cette inspection est une expérience particulière. Pour ma part, je ne savais pas que c’était de jour et de nuit. Les inspecteurs ont débarqué ainsi : “Bonjour madame, voilà, donnez-nous les clés de votre établissement, ouvrez-nous, c’est une inspection ». Ils étaient nombreux et j’ai vraiment cru qu’il y avait un truc particulièrement grave.
Ils ont mené leur inspection et proposé un dialogue de gestion très resserré pour présenter un plan de redressement, ou plutôt une restructuration lourde.
La seule chose que je regrette de cette inspection, c’est que plutôt que de travailler pour nous soutenir, et écouter ce que nous avions à présenter, ils sont venus exclusivement pour un contrôle en tenant des propos terrifiants. Et là, les conséquences ont été terribles, parce qu’ils nous ont dit des choses que d’habitude on ne dit pas aux salariés. Ils nous ont dit à quel point on était mauvais et ils ont prononcé des mots terribles, comme “maltraitance ». Les salariés n’étaient pas prêts à entendre ça et cela les a profondément affectés. La conséquence de ces propos violents a été que dans les jours qui ont suivi, nous avons enregistré de nombreuses démissions.
Puis la délégation départementale de l’ARS nous a imposé un calendrier intenable et des prescriptions qui nécessitent pour certaines un travail de 6 mois minimum. Pour résumer, 51 prescriptions, 27 recommandations, 2 injonctions. Chaque demande représente au minium10 heures de travail, alors qu’on nous demande une réponse immédiate.
Ça, c’est le mauvais côté. Le seul bon côté, c’est que cela légitime une transformation.
Est-ce que toutes ces prescriptions ou est-ce que tous ces reproches sont valables et justifiés ?
Quand les prescriptions sont réglementaires il n’y a pas à discuter. La seule discussion à avoir c’est de quelle manière on va pouvoir engager au plus vite la transformation.
Oui parfois certains lieux ressemblent un peu à la cour des miracles, mais les comportements et les propos de ces inspecteurs ont été excessifs, délétères et ont produit l’inverse de ce que l’on pouvait attendre avec ces démissions. Certes, nous accueillons effectivement des résidents extrêmement handicapés, qui ont un besoin constant d’accompagnement et d’activité et pour lesquels nous devons travailler sur la notion d’errance, d’enfermement et de liberté.
Oui, les professionnels de la MAS ont pris l’habitude de penser à la place du résident. En fait, on ne s’est plus jamais questionné. “Ce résident, il aime ça, non, je sais, ce n’est pas la peine de lui proposer, il n’aimera pas.” En fait, on pense pour lui. Ce n’est pas propre à notre MAS, c’est un réflexe de notre société tant que la personne handicapée ne sera pas intégralement reconnue dans ses capacités à s’exprimer et à faire.
Une MAS, c’est comme une personne : il y a des fonctions cognitives, il y a des jambes, des pieds, etc. Si vous prenez toutes les parties du corps, il y a des petits soucis un peu partout et parfois il faut du temps pour régler les dysfonctionnements.
Comment vivez-vous cette crise sur le plan personnel ?
Je me sens utile. C’est un défi.
Il reste que cette inspection a donné une image d’une institution qui n’est pas la bonne image.
Travailler à l’Institut Camille Miret, est vraiment confortable et cela, on ne le dit pas assez souvent. Il n’y a pas de jugement, il n’y a pas de stress du style “Peut-être qu’on ne va pas y arriver” ou “peut-être que je ne vais pas y arriver.” Nous n’avons jamais été pris entre deux feux entre l’inspection de l’ARS et la Direction Générale. Nous avons un vrai soutien de la DG, et ça, c’est particulièrement appréciable.
Je ne connais pas d’établissement qui ne connaisse pas des périodes de crise. Aucun établissement ne peut se maintenir en permanence au top. C’est comme cela qu’on devient au top, c’est parce qu’on a été un peu en retard. Nous sommes dans une phase un peu basse, mais c’est normal, on apprend également de cette manière.
Il faut le voir comme une crise, et juste comme une crise. Cela n’est pas représentatif de la MAS ni des professionnels qui y travaillent. Cette inspection va nous impacter sur le plan structurel, mais il faut la voir comme une opportunité à saisir.